La Sydney Dance Company fait salle comble au Théâtre de Chaillot
ab [intra], une des pièces les plus attendues de la saison du Théâtre de Chaillot, s’est jouée à guichets fermés devant un public conquis. Certains spectateurs se souvenaient de la précédente pièce présentée à Chaillot en 2018 par la Sydney Dance Company.
ab [intra] – “de l’intérieur” en latin -, est un hymne à la beauté qui s’appuie sur trois axes en constante interaction : une chorégraphie puissante à la gestuelle athlétique et raffinée, une partition de Nick Wales avec des extraits d’un concerto au violoncelle de Pēteris Vasks, et l’éclairage sobre et rythmé qui constitue la scénographie.
Energie créatriceLe timbre grave du violoncelle imprègne la nuit de Chaillot. Après quelques pas, un collectif se dessine au centre du plateau pour révéler une technique inventive. Au son et à la lumière, le spectateur découvre dans un rythme soutenu l’effervescence de la pièce ab [intra]. Les mouvements complexes semblent naturels et virevoltent dans une impressionnante légèreté. Pour concevoir cette pièce, le chorégraphe Rafael Bonachela a travaillé à partir d’une série d’improvisations sur l’énergie créatrice des dix-sept danseurs de la Sydney Dance Company. Il leur a demandé “d’être ensemble dans l’instant, de ressentir et d’écouter, de suivre leurs intuitions et impulsions, puis de chercher à mettre par écrit ces instants”. Rafael Bonachela a composé ab [intra] en proposant aux danseurs un transfert d’énergie de la pensée vers le corps. En solos, duos, trios ou sous-groupes, les danseurs forment des mouvements aux accents géométriques et ondulés, inspirés d’une base classique adaptée à la danse contemporaine. La partition de Nick Wales est entraînante, elle égrène des sons électro-techno qui apportent de l’étrangeté. Quand un premier duo occupe un halo de lumière, le violoncelle offre des tonalités romantiques. Certains jeux de jambes et postures évoquent furtivement le tango. Une harmonie unit le couple entre souplesse et musculature jusqu’à d’étonnantes contorsions. Les corps dessinent des figures élégantes et tout un registre délicat anime ce duo dont les sentiments paraissent réels. La sonorité musicale s’intensifie de façon progressive rappelant parfois la musicalité de l’Espagne et les mystères de l’Orient.
Au rythme de l’éclairageSur le plateau, tout est réfléchi avec précision. Dans un décor épuré en semi-obscurité, les séquences évoluent très vite. Si la danse fait écho au tempo musical, elle est également en lien avec les effets de lumière. Dès le début de la pièce, des barres sont projetées au sol. Puis, le plateau semble s’agrandir. Avec vitalité, les danseurs se déplacent jusqu’au bout des pointes. Parmi les jeux d’ombres qui habillent les corps, l’ensemble des danseurs bougent de façon synchrone, les mouvements sont précis et parfois inversés. Les différents tableaux s’inscrivent dans une dynamique constante et toujours renouvelée. Rafael Bonachela sait valoriser les talents de la troupe, et aussi le côté animal et instinctif des danseurs. Les singularités sont révélées par des solos. Le dernier solo notamment relève d’une performance avec un danseur-interprète émouvant dont la gestuelle fait penser à un oiseau. Pendant cette séquence, les autres danseurs sont assemblés de façon frontale en fond de scène – un effet de lumière apparaît sur les torses. La scénographie d’ab [intra] est “millimétrée” avec un traitement particulier de la lumière. Dans les coulisses, la machinerie a nécessité plusieurs heures de réglages. Pour chaque représentation à Chaillot, ce sont vingt-cinq porteuses qui sont disposées au-dessus du plateau, quatre à cinq techniciens sont présents. Les répétitions des danseurs se font avec l’accompagnement musical et aussi au rythme de l’éclairage. Pour arriver à un tel niveau de perfectionnement même avec des danseurs considérés comme les meilleurs d’Australie, il faut de nombreuses heures de travail et d’efforts.
ab [intra] est une chorégraphie très dense et sophistiquée. Les danseurs à l’image du chorégraphe donnent tout à leur art et sur scène, le public le ressent. S’il y a un effet groupe – il s’agit d’une des plus prestigieuses compagnies de danse contemporaine -, des talents singuliers sont aussi mis en lumière par les solos et les duos.
Au Théâtre de Chaillot, Rafael Bonachela était présent auprès du public, après chaque représentation. Il a été très applaudi comme les danseurs venus tour à tour à l’avant de la scène. Succès mérité. ab [intra], c’est l’excellence dans le beau.
Fatma Alilate
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